Madrid 2022

Le 21 novembre 2022, la Cour suprême espagnole et l’ACA-Europe ont organisé le séminaire « L’application de principes et clauses généraux dans la jurisprudence des juridictions contentieuses-administratives » à Madrid, Espagne.

 

Le séminaire s'est déroulé suivant un copieux programme de travail. Il a débuté par un bref mot d'accueil et de bienvenue du président de la troisième chambre de la Cour suprême d'Espagne, M. César Tolosa. C'est ensuite M. Raffaele Greco, président de section du Conseil d'État de la République italienne, qui est intervenu au nom du président du Conseil d'État de la République italienne, M. Franco Frattini, qui n'a pu assister à cette réunion.

La séance de travail proprement dite a débuté par un exposé liminaire de M. César Tolosa. Celui-ci a souligné que si, dans tous les domaines du droit, le rôle structurant et vitalisant des principes généraux du droit s'avère essentiel, c'est d'autant plus le cas en matière de droit administratif. Les personnes chargées d'interpréter et d'appliquer celui-ci sont en effet bombardées de règles, provenant de différents systèmes de sources, aux niveaux européen, étatique, régional et local. M. Tolosa a en outre souligné le fait que la décantation des principes généraux constitue avant tout un phénomène jurisprudentiel. C'est particulièrement évident si l'on considère la question dans la perspective globale du droit de l'Union européenne, dont les principes généraux ont été principalement identifiés et façonnés par la jurisprudence de la Cour de justice, en tenant remarquablement compte, soit dit en passant, des traditions constitutionnelles communes aux États membres.

La magistrate et coordonnatrice juridique du cabinet technique de la Cour suprême espagnole, Mme Sandra González de Lara, a fait un résumé exécutif des réponses au questionnaire précédemment distribué aux représentants des pays participants. Les trois groupes de travail inscrits à l'ordre du jour de la session se sont ensuite déroulés successivement.

M. Carlos Lesmes Serrano, magistrat de la Cour suprême d'Espagne, et ancien président de celle-ci ainsi que du Consejo General del Poder Judicial del Reino de España (conseil général du pouvoir judiciaire d'Espagne), a fait office de modérateur du premier groupe de travail, intitulé « Principes généraux du droit dans le système des sources et leur incorporation commune par l'Union européenne et le dialogue horizontal ». Les intervenants étaient M. Carsten Günther, magistrat de la Cour suprême administrative de la République fédérale d'Allemagne, Mme Lena Demetriades-Andreou, magistrate de la Cour suprême de la République de Chypre, et Mme Barbara Pořízková, vice-présidente de la Cour suprême de la République tchèque. Les trois intervenants ont évoqué la présence et la signification des principes généraux du droit au sein de leurs systèmes juridiques nationaux respectifs. Ils ont aussi détaillé, par des exemples tirés de la pratique de leurs juridictions, l'incidence du droit de l'Union européenne et, singulièrement, de la jurisprudence de la CJUE. Une attention particulière a été accordée au processus de réception, d'affirmation et de mise en œuvre du principe de confiance légitime, chacun des intervenants évoquant l'importance de ce principe par rapport à d'autres principes proches et connexes, comme la bonne foi, la certitude et la sécurité juridique. Les différentes approches adoptées par les tribunaux de chaque État, en ce qui concerne l'éventuelle virtualité de ce principe de confiance légitime, pour atténuer la rigueur du principe de légalité dans l'intérêt de la sauvegarde de la bonne foi et de la sécurité juridique des citoyens dans leurs relations avec l'administration, ont été mises en évidence. Après ces trois interventions, le modérateur du groupe de travail a pris la parole pour récapituler et illustrer la pratique des tribunaux espagnols en la matière. Un débat fructueux a ensuite eu lieu sur la relation entre les principes de confiance légitime et de légalité, et ce en quoi ils se distinguent ou s'opposent éventuellement.

Après une courte pause, le deuxième groupe de travail, intitulé « Principes généraux et droits fondamentaux », a débuté. C'est M. Yves Gounin, membre du Conseil d'État de la République française, qui en a été le modérateur. Sont intervenus dans le cadre de ce deuxième groupe de travail : M. Thomas Bull, magistrat de la Cour suprême du Royaume de Suède, M. András Patyi, vice-président de la Cour suprême de Hongrie, et M. Pablo Lucas Murillo de la Cueva, magistrat de la Cour suprême d'Espagne. Tous les trois se sont accordés à souligner le lien étroit entre principes généraux du droit et droits fondamentaux, en insistant (chacun dans l'optique particulière de son propre système juridique national) sur le fait que l'on observe en la matière un processus de réception législative progressive et ininterrompue et de positivisation des principes et des droits, en ce compris au plus haut niveau constitutionnel ; et ce tant sur le plan substantiel que sur le plan procédural, dans le cadre de leur prise en considération et de leur application par la jurisprudence. Des principes tels que la proportionnalité, l'égalité et la non-discrimination, ou la bonne administration, ont ainsi été évoqués. La nécessité d'observer des principes et des garanties procédurales dans les relations de l'administration avec les citoyens, afin d'éviter des situations dans lesquelles le justiciable se trouverait dans l'impossibilité de se défendre, a aussi été soulignée. M. Pablo Lucas a insisté, en ce sens, sur le fait que les principes généraux du droit ont dépassé le modeste rôle de source subsidiaire pour devenir des éléments définissant le système juridique. Il a développé la double caractérisation, non seulement subjective mais aussi objective, des droits fondamentaux, en vertu de laquelle les droits fondamentaux et les principes généraux qui y sont consacrés s'érigent en éléments structurants de la société politique. Une fois achevées, ces interventions ont donné lieu à un vif débat, au cours duquel se sont succédé diverses interventions sur le rôle du juge dans l'affirmation et l'application des principes généraux et des droits fondamentaux, selon l'existence ou non de cours constitutionnelles dans chaque pays.

Durant la séance de l'après-midi, après le déjeuner, s'est tenu le troisième et dernier groupe de travail, intitulé « Principes généraux dans certaines matières sectorielles de droit public ». M. Raffaele Greco, président de section du Conseil d'État de la République italienne, en a été le modérateur. Sont intervenus : M. Francis Delaporte, président de la Cour administrative du Grand-Duché de Luxembourg, Mme Viive Ligi, magistrate de la Cour suprême de la République d'Estonie, et Mme Suzana Tavares da Silva, magistrate de la Cour administrative suprême de la République portugaise. Comme cela correspondait à l'objet du groupe de travail, les interventions successives ont eu une nette composante jurisprudentielle. Les intervenants sont ainsi revenus sur des affaires litigieuses, portées devant leurs cours respectives, dans la solution desquelles les principes généraux du droit avaient joué un rôle déterminant. L'accent a été spécifiquement mis sur l'importance du principe de transparence dans l'utilisation des nouvelles technologies et la résolution de procédures au moyen d'algorithmes.

Une fois ce troisième groupe de travail achevé, le président de la Sala de lo contencioso-administrativo del Tribunal Supremo del Reino de España (chambre du contentieux administratif de la Cour suprême d'Espagne) a clôturé le séminaire. Après un bref récapitulatif des thèmes abordés et des contributions des différents intervenants, il a souligné le niveau scientifique élevé de la journée ainsi que la vivacité des débats. Sur ces paroles, le séminaire a pris fin.