IMGP6652 Photographie : Cour administrative suprême de la République tchèque

Un séminaire organisé par la Cour administrative suprême de République tchèque et l’ACA-Europe sur le thème des Mesures visant à faciliter et limiter l’accès aux tribunaux administratifs s’est déroulé à Brno, en République tchèque, le 9 septembre 2019. La veille du séminaire, les délégués se sont rencontrés au Moravian Karst, où ils ont été accueillis par Michal Mazanec, Président de la Cour. Évoquant les événements qui ont marqué l’histoire de l’ancienne Tchécoslovaquie, il a souligné l’importance de la coopération entre les juridictions administratives européennes. La visite des grottes de Punkva et du gouffre de Macocha a été sublimée par le Largo de la symphonie du Nouveau Monde d’Antonín Dvořák interprété par Lenka Bursíková, auxiliaire de justice au sein de la Cour.

Près de 35 membres des Cours administratives suprêmes et Conseils d’État de 25 pays d’Europe se sont réunis dans les locaux de la Cour afin de trouver une solution proportionnelle à la tension qui s’exerce entre deux principes : le droit à accéder à un tribunal impartial, d’une part, et l’efficacité du contrôle juridictionnel, d’autre part. En outre, deux éminents invités de la Cour de justice de l’Union européenne, Michal Bobek, Avocat général à la Cour de justice, et Jan M. Passer, Juge au Tribunal, ont participé à la session. La base de travail du séminaire résidait dans le Rapport général établi par Zdeněk Kühn et Pavel Molek, universitaires et juges à la Cour. Le Rapport synthétisait les rapports nationaux transmis par 23 juridictions. Barbara Pořízková, Vice-présidente de la Cour, a ouvert le séminaire. Elle a remercié la présidence allemande d’avoir confié à la Cour l’organisation du séminaire. En posant la question de savoir comment il convient de faire face au nombre croissant d’affaires qui sont portées devant les tribunaux administratifs et si les barrières qui se dressent devant les personnes demandant une protection juridictionnelle sont justes et appropriées, elle a délimité les contours du séminaire.

 
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Le premier panel, dirigé par Jan M. Passer, était axé sur les mesures visant à limiter l’accès aux tribunaux administratifs. Pavel Molek a résumé les conclusions du Rapport général. Les pays s’efforcent d’endiguer le déferlement d’affaires tout en respectant les limites prévues par l’Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il a souligné que bien que certaines mesures varient de manière significative entre les juridictions administratives européennes (par exemple en ce qui concerne les frais de justice), d’autres sont relativement similaires (par ex. remboursement des coûts de procédure au requérant ayant obtenu gain de cause). Dans la majorité des pays, toutes les décisions des autorités publiques peuvent faire l’objet d’un contrôle par des juridictions administratives et, dans le même temps, la liste des autorités publiques dont les actes ne peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire, est limitée. La majorité des pays ont également adopté des mesures pour limiter l’accès pour les plaintes frivoles ou abusives. Yves Gounin, Délégué aux relations internationales au Conseil d’État français, Aleksandrs Potaičuks, Conseiller juridique à la Cour suprême de Lettonie, et Theodora Ziamou, Juge associé au Conseil d’État grec, ont mis en évidence certaines spécificités particulièrement intéressantes de leurs systèmes. Yves Gounin a expliqué les raisons pour lesquelles les frais de justice ont été supprimés en France, a précisé qu’il s’agissait d’une question politique et a indiqué que leur seconde réintroduction au cours des dernières décennies était réexaminée. Aleksandrs Potaičuks a indiqué qu’en Lettonie le tribunal peut demander un résumé succinct d’un document trop long et qu’un comportement frivole constituait un obstacle juridique à la diminution du montant de frais. Il a souligné que limiter l’accès pour certains était nécessaire pour le bien des autres. Theodora Ziamou a présenté de manière détaillée les règles liées à la pénalisation des requêtes frivoles par la multiplication des frais ainsi qu’aux limites monétaires pour le recours.

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Le second panel, dirigé par Carsten Günther, Juge à la Cour administrative fédérale d‘Allemagne, était axé sur les mesures visant à faciliter l’accès aux tribunaux administratifs. Zdeněk Kühn a résumé les conclusions du Rapport général. Il s’est intéressé, entre autres, aux règles liées à l’exemption de l’obligation de payer des frais de justice, en particulier en ce qui concerne les ONG, qui ne sont pas soumises à l’obligation de payer les frais et ne sont donc pas contraintes de trouver des ressources pour pouvoir engager des procédures dans plusieurs « nouveaux » pays de l’UE. Erik Kerševan, Juge à la Cour suprême de Slovénie, a expliqué que le législateur disposait d’une grande liberté d’appréciation pour déterminer le niveau acceptable des frais de justice. La question de savoir qui supportera les frais relève de la politique et les ressources publiques doivent être prises en compte. Le montant des frais débute au niveau permettant aux personnes d’accéder au tribunal et ne doit pas excéder le montant des frais de procédure. Si l’accès est gratuit pour les personnes, il en résulte un aléa moral. Carsten Günther a examiné le système allemand des frais de justice. Ils n’ont pas pour objet la réduction du nombre d’affaires, mais une contribution aux frais de procédure qui seraient autrement pris en charge par l’État. Les frais s’appliquent par principe ; des exonérations générales s’appliquent dans les affaires sociales et d’asile ainsi que pour l’administration publique (des règles spécifiques s’appliquent devant les tribunaux administratifs en raison de l’examen diligent de l’affaire).

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Le dernier panel, dirigé par Kari Kuusiniemi, Président de la Cour administrative suprême de Finlande, était axé sur la sélection des affaires par les tribunaux administratifs. Zdeněk Kühn a synthétisé les conclusions du Rapport général. Deux perspectives en émergent. La première perspective considère l’accès aux cours suprêmes comme un privilège, tandis que la seconde perspective le perçoit comme un droit. Étant donné que les pays qui n’appliquent pas de procédure de sélection ne ferment pas les portes du contrôle juridictionnel, ils sont contraints de gérer des affaires insignifiantes. Par ailleurs, il semble que les systèmes dotés de tribunaux constitutionnels puissants imposent aux tribunaux ordinaires de motiver (de manière détaillée) toutes leurs décisions ; par conséquent les cours (administratives) dites suprêmes n’ont de « suprêmes » que le nom. En revanche, les pays dans lesquels une confiance est accordée aux juges (aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur du système judiciaire) ne sont pas obsédés par le contrôle. Maarja Oras, Conseillère auprès de la Chambre administrative de la Cour suprême d‘Estonie, et Kari Kuusiniemi ont décrit les spécificités de leurs systèmes de sélection des affaires. En Estonie, un mécanisme spécifique s’applique à tous les niveaux des juridictions administratives. Des critères de sélection objectifs s’appliquent, en particulier pour les demandeurs présentant des demandes frauduleuses ou abusives. En Finlande, une nouvelle loi devrait entrer en vigueur en 2020 et le système d’autorisation d’appel deviendra alors la règle tandis que les appels directs constitueront une exception. Les modèles estonien et finlandais sont mixtes. Leurs fonctions de créateurs de loi sont mises en évidence mais ils servent également à corriger les erreurs grossières des juridictions inférieures.

Michal Bobek a prononcé une allocution de clôture. Trois thèmes se sont dégagés du séminaire : i) questions de hiérarchie, ii) il semble plus approprié de limiter l’accès au tribunal par des règles discrétionnaires (plutôt que par des règles mécaniques) et iii) les tribunaux ont vocation à protéger les droits et libertés des personnes, à rendre un service public. Tout en cherchant à gagner en efficacité, il convient de garder à l’esprit l’image de l’hôpital le plus efficace de la célèbre série britannique : l’hôpital sans patient. Par conséquent, il a exposé trois idées. Concernant les frais de justice, l’analogie entre le droit administratif et le droit civil est largement reconnue ; pourrait-on imaginer une analogie avec le droit pénal ? La représentation obligatoire, qui garantit la qualité de la procédure, soulève la question des coûts ; une différence de traitement entre un État et un juriste interne est-elle légitime ? La sélection des affaires est une question de fond, d’évolution du droit ; les pays en transition en ce qui concerne la sélection des affaires sont confrontés à trois obstacles : la défiance (un système basé sur la défiance ne crée jamais la confiance par la loi), le travail (contrairement à l’intuition, la sélection implique davantage de travail) et l’avidité (capacité à éliminer l’avidité jurisprudentielle personnelle).

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Le séminaire s’est achevé sur l’allocution de clôture de Klaus Rennert, Président de l’ACA-Europe et Président de la Cour administrative fédérale d‘Allemagne. Il a mis en exergue les idées inspirantes qui se sont dégagées de la discussion. Le séminaire a marqué la clôture du cycle ouvert par le séminaire de Dublin, suivi par le séminaire de Berlin. Il était donc lié aux précédents thèmes mais a dans le même temps ouvert la voie à d’autres débats.