2019 BER group Photograph: Bundesregierung / Schacht, Henning

Le 13 mai 2019, l’ACA-Europe a organisé le séminaire relatif à « L’accès aux cours administratives suprêmes et leurs fonctions » au Tribunal administratif supérieur de Berlin et du Brandebourg, l’un des 15 tribunaux administratifs de deuxième instance en Allemagne. Le séminaire était coorganisé avec la Cour administrative fédérale d’Allemagne, qui assure actuellement la présidence de l’ACA Europe.

Plus de 60 représentants de 32 institutions membres se sont réunis dans la capitale allemande dans un bâtiment ayant une longue tradition de jurisprudence administrative, siège de la Cour administrative suprême de Prusse, puis de la Cour administrative fédérale d’Allemagne avant son déménagement à Leipzig en 2002.

 

Ce séminaire était étroitement lié au précédent organisé par la Cour suprême irlan-daise à Dublin sur le thème « Comment nos juridictions décident : le processus de prise de décision des Cours administratives suprêmes ».

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Comme lors du séminaire de mars à Dublin, le séminaire visait à approfondir la compréhension mutuelle des conditions de travail des tribunaux membres. Après que le séminaire de Dublin eut mis l’accent sur la perspective du processus de décision interne, le séminaire de Berlin s’est focalisé sur les facteurs externes. Au cours de trois sessions, les participants ont discuté des différents objectifs que doivent remplir les cours administratives suprêmes. Dans plusieurs États, leur fonction inclut également la fonction de tribunal de première instance dans certaines affaires spécifiques. Le séminaire a également été l’occasion d’aborder les différentes approches adoptées par les différentes juridictions en ce qui concerne les effets contraignants des décisions des Cours administratives suprêmes et la question de savoir s’il existe un système de filtrage des recours devant la Cour administrative suprême et, dans l’affirmative, comment ces systèmes de filtrage sont liés aux objectifs des juridictions administratives suprêmes.

Après une introduction de Klaus Rennert, président de la Cour administrative fédé-rale d’Allemagne et actuel président de l’ACA-Europe, Carsten Günther, juge de la Cour administrative fédérale d’Allemagne, a présenté les principales conclusions tirées des réponses nationales au questionnaire préparatoire qui ont été données par 29 membres, observateurs et invités.

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Au cours de la première session consacrée aux objectifs des Cours administratives suprêmes – présidée par le président du Conseil d’État italien Filippo Patroni Griffi – Theodora Ziamou, conseillère référendaire du Conseil d’État grec, a expliqué la nature démocratique du Conseil d’État grec, qui a toujours revendiqué la compétence en matière de contrôle de la constitutionnalité des lois, estimant que cette compétence est inextricablement liée au contrôle de la légalité de l’administration. Afin de garantir une large participation, le Conseil d’État grec peut également, depuis 2010, con-duire des procès dits pilotes pour des questions d’intérêt général ayant des consé-quences sur un grand nombre de personnes. Erik Kerševan, juge de la Cour suprême de Slovénie, a souligné les différences entre les procédures de révision et d’appel en Slovénie. Tandis que la révision est admissible dans les affaires revêtant une importance générale, les appels dans les affaires qui ne répondent pas à ce critère doivent faire l’objet d’une autorisation. Dans le premier cas, la Cour suprême procède à un examen limité des seules questions de droit, tandis que dans le second, elle procède à un examen global de la légalité. De ce fait, la perspective est plus générale dans les cas de révision et dépasse la portée de l’affaire en elle-même et les appels sont traités davantage au cas par cas. Selon M. Kerševan, la difficulté réside dans l’affectation de la bonne procédure aux bonnes affaires, sans entraîner de risque de dysfonctionnement, qui pourrait par exemple survenir pour une demande justifiée de révision ne répondant pas au critère d’importance générale. Rafael Toledano Cantero, juge de la Cour suprême espagnole, a indiqué que le rôle de la Cour suprême espagnole se limitait essentiellement aux sujets pour lesquels elle agit en tant qu’instance unique et à sa fonction de Cour de cassation. En raison de son évolution historique, la Cour su-prême espagnole intervient exclusivement dans le cadre de procédures à une seule instance engagées contre des décisions administratives rendues par les instances les plus élevées de tous les pouvoirs de l’État. Cependant, le principal rôle de la Cour suprême espagnole réside dans sa fonction de cour de cassation visant à uniformiser l’interprétation de la loi dans les affaires pour lesquelles la cassation présente un intérêt particulier. Pour la sélection des affaires, un nouveau système d’autorisation des pourvois en cassation basé sur l’évaluation du niveau d’intérêt de la cassation a été mis en place en 2016. Seules les affaires dans lesquelles la juridiction inférieure s’écarte délibérément de la juridiction établie présentent systématiquement un tel intérêt.

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Au cours de la seconde session consacrée aux effets contraignants des décisions des cours administratives suprêmes – présidée par le président de la division juridictionnelle du Conseil d’État des Pays-Bas, Bart Jan van Ettekoven – Aleksandrs Potaičuks of the Latvian Supreme Court presented the approach the legal order in Latvia has taken to ensure a uniform interpretation of the law. de la Cour suprême de Lettonie, a présenté l’approche adoptée par le système juri-dique de Lettonie pour garantir une interprétation uniforme de la loi. Cette interprétation uniforme est garantie par l’obligation, résultant du principe général d’égalité, pour les juridictions inférieures de suivre l’interprétation adoptée par la Cour suprême. Dans des circonstances de fait et de droit identiques, les juridictions inférieures ne peuvent s’écarter d’une décision de la Cour suprême que si elles le justifient expressément. Toutefois, cet écart ouvre la voie à un recours devant la Cour suprême. Jacek Chlebny, vice-président de la Cour administrative suprême polonaise, a présenté l’instrument dont la Cour administrative suprême polonaise dispose pour jouer son rôle de garant de la cohérence de l’interprétation de la loi, à savoir les réso-lutions. En Pologne, les décisions de la Cour administrative suprême ne sont contraignantes que dans l’affaire dont il est question ; toutefois la Cour administrative suprême peut, par des résolutions, donner son avis sur certaines questions de droit afin de renforcer la cohérence de la jurisprudence. Ces résolutions sont contraignantes pour les tribunaux administratifs inférieurs. Toutefois, s’ils sont en désaccord, ils peuvent engager une procédure visant à obtenir une nouvelle résolution (concrète) dans laquelle la Cour administrative suprême rend une décision différente (« Si vous n’êtes pas d’accord, soumettez une nouvelle demande »). Lord Philip Sales, juge de la Cour suprême du Royaume-Uni, a présenté le principe de stare decisis et le niveau d’autonomie des juridictions inférieures au Royaume-Uni. Dans les trois différentes juridictions du Royaume-Uni (Angleterre et pays de Galles, Écosse, Irlande du Nord), il existe un système de précédent d’application obligatoire plus strict que dans les systèmes juridiques continentaux, dans le cadre duquel les décisions de la Cour suprême s’imposent à toutes les juridictions inférieures et, dans la mesure où elles ne sont pas considérées comme manifestement erronées, à la Cour suprême elle-même. Étant donné que la force obligatoire s’étend uniquement au ratio decidendi des décisions, il en est résulté des pratiques de distinction sophistiquées visant à démontrer que le ratio decidendi d’une décision antérieure ne s’applique pas à une affaire en particulier.

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Au cours de la troisième session portant sur les systèmes de filtrage pour les recours devant les Cours administratives suprêmes – présidée par la vice-présidente de la Cour administrative suprême tchèque, Barbara Pořízková – Rudolf Thienel, président de la Cour administrative suprême autrichienne, a présenté le système de juridictions administratives autrichien, qui a fait l’objet d’une restructuration en profondeur en 2014. Désormais, la Cour administrative suprême autrichienne se prononce principalement sur les recours en dernier ressort contre des décisions rendues par des tribunaux administratifs. Ces recours ne sont autorisés que lorsqu’une question de droit revêtant une importance fondamentale doit être abordée dans le cadre de l’affaire. De ce fait, il ne doit exister aucune jurisprudence de la Cour administrative suprême sur la question, la décision de la Cour administrative doit s’écarter de la jurisprudence de la Cour administrative suprême ou la question ne doit pas avoir été tranchée de manière uniforme dans la jurisprudence antérieure de la Cour administrative suprême. Par ailleurs, l’avocat obligatoire doit démontrer cette importance fondamentale dans un mémoire détaillé. Yves Gounin, conseiller d’État du conseil d’État français, a expliqué la procédure d’admission des pourvois en cassation devant le conseil d’État français. Dans une procédure non contradictoire, le président de la chambre peut décider seul de l’admission dans les affaires simples, c’est-à-dire lorsque l’admissibilité ne fait aucun doute. En cas de doute, l’affaire est transmise à un juge agissant en qualité de rapporteur pour l’examen. Si ce juge se prononce en faveur de l’admission du pourvoi en cassation, le président de la chambre peut le faire au moyen d’une ordonnance. Si le juge rapporteur suggère de refuser l’admission, l’affaire doit être examinée par un « rapporteur public » dans le cadre de la préparation d’une séance de la chambre à trois juges qui rendra alors une décision sur l’admission. Elizabeth Dunne, juge de la Cour suprême irlandaise, a expliqué le fonctionnement du système d’appel des juridictions supérieures irlandaises, tel que réformé en 2014. Désormais, pour qu’un recours formé devant la Cour suprême contre une décision rendue par la cour d’appel dans sa forme actuelle soit admissible, la décision doit impliquer une question d’intérêt général ou il doit être nécessaire, dans l’intérêt de la justice, qu’un appel soit interjeté devant la Cour suprême. La réforme a permis à la Cour suprême irlandaise de consacrer davantage de temps à des affaires d’importance plutôt qu’à la gestion de tous les appels résultant d’une décision de la Haute Cour.

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Dans son allocution de clôture, Klaus Rennert a conclu que les Cours administratives suprêmes doivent toujours remplir trois objectifs : garantir une justice au cas par cas, garantir ou rétablir l’uniformité et la cohérence de la jurisprudence et développer le droit. Dans les affaires jugées en première instance, le premier aspect est prédominant tandis que les autres aspects prédominent dans les affaires jugées en appel. Les systèmes de filtrage sont censés permettre aux Cours administratives suprêmes de se concentrer sur leurs objectifs spécifiques dans les affaires portées en appel. Les systèmes de filtrage reposent généralement à la fois sur des critères matériels, tels que la dérogation à la jurisprudence de la Cour administrative suprême, et sur des critères de forme, tels que la description précise de la dérogation. Les critères de forme en particulier s’accompagnent d’un risque de « détournement excessif » qui aurait pour conséquence de réduire la visibilité de la diversité des affaires pour la Cour administrative suprême. Tel serait en particulier le cas dans un système juridique reposant sur trois instances avec des filtres entre chacune d’entre elles. En ce qui concerne les éventuels effets contraignants, M. Rennert a mis en évidence une opposition entre les principes d’uniformité et de prévisibilité de la jurisprudence d’une part et d’indépendance de la justice d’autre part. Pour pallier ce problème, les systèmes juridiques des membres ont opté pour différents modèles : pour certains, les décisions n’ont pas d’effets contraignants normatifs et la jurisprudence des Cours administratives suprêmes n’a d’effets factuels sur d’autres affaires que par son raisonnement convaincant. Certaines décisions n’ont pas d’effets contraignants importants, mais des exigences de procédure sont imposées pour toute dérogation, entraînant l’admission d’un appel. Enfin, certaines décisions n’ont pas d’effets contraignants importants, bien qu’il puisse toujours exister une possibilité de renverser le précédent, quoique par une procédure spécifique, généralement par un panel important de membres de la Cour administrative suprême.

L’ACA-Europe prévoit, dans le cadre d’un séminaire organisé à Brno en septembre par la Cour administrative suprême tchèque, d’approfondir la compréhension mu-tuelle des conditions de travail des institutions membres. Le séminaire portera sur les mesures visant à faciliter et à limiter l’accès aux tribunaux administratifs. Par ailleurs, l’Assemblée générale à Berlin a décidé de consacrer la nouvelle Analyse transversale au recueil de données statistiques permettant de renforcer la comparabilité des résultats des trois séminaires organisés en 2019.