Comme son titre l’indique, le séminaire a porté principalement sur l’obligation des juridictions nationales statuant en dernier ressort d’opérer des renvois préjudiciels, telle qu’interprétée dans la jurisprudence de la CJUE.
Le séminaire a débuté par des discours de bienvenue des présidents des cours administratives suprêmes de Suède et de Finlande. Helena Jäderblom et Kari Kuusiniemi ont remercié les participants pour leurs réponses, faisant preuve d’implication, au questionnaire. Celles-ci ont richement alimenté le Rapport général et engendré de fructueuses discussions sur le rôle important des juridictions nationales statuant en dernier ressort, en faveur du maintien de l’uniformité de la législation européenne, tout au long de la procédure de décision préjudicielle.
Le Rapport général a ensuite été présenté par Sarah Helaoui, Emma Millberg et Sofia Karlsson Wramsmyr, juges-référés (en charge de la préparation et de la présentation des cas) auprès de la Cour administrative suprême de Suède.
Le président de la CJUE, Koen Lenaerts, a apporté sa contribution à la session d’ouverture en exposant amplement son point de vue sur les nouveaux développements liés à la doctrine de l’acte clair. Il a mis l’accent sur le fait que la procédure préjudicielle ne devrait pas être considérée comme un dialogue purement vertical entre la CJUE et les juridictions nationales statuant en dernier ressort, mais plutôt comme un réseau horizontal de collègues. Le président Lenaerts a souligné le fait que, lorsqu’elles opèrent un renvoi préjudiciel, les juridictions nationales peuvent couler les fondations d’un débat européen de qualité, simplement en formulant les questions et en indiquant la réponse qu’elles estiment que celles-ci appellent. Il a aussi indiqué que le fait que la CJUE ait répondu antérieurement à une question n’empêche pas de la poser à nouveau, si la juridiction nationale est d’avis qu’il s’impose d’ajuster la jurisprudence. C’est tout particulièrement dans ces cas de figure qu’il est important que la juridiction nationale spécifie la raison pour laquelle elle estime que la jurisprudence existante ne devrait pas être appliquée. Le président Lenaerts a par ailleurs souligné le rôle de réseaux comme l’ACA-Europe (qui font circuler la jurisprudence nationale) dans le maintien du critère Consorzio. Il doit être tout aussi clair pour d’autres juridictions nationales statuant en dernier ressort que l’interprétation correcte de la législation européenne s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.
Le séminaire était divisé en trois sessions de tables rondes, portant chacune sur un sujet pertinent lié aux décisions préjudicielles.
C’est Anna Wallerman Ghavanini, professeure adjointe à l’Université de Göteborg, qui animait la première table ronde. Celle-ci était consacrée à la question de la formulation de la demande de décision préjudicielle. Anna Wallerman Ghavanini a commencé par exposer quelques réflexions liées au Rapport général, et ses recherches à cet égard. Au niveau général, la discussion a révélé qu’il était souvent propice pour la juridiction nationale de décrire l’intégralité des faits et du contexte dans lequel une affaire devait être évaluée, ainsi que les conséquences de telle ou telle réponse à une question. Cela peut aider la juridiction nationale à obtenir une réponse utile de la CJUE dans l’affaire spécifique. La discussion a par ailleurs porté sur la question de savoir s’il était approprié qu’une juridiction nationale fasse part de son propre point de vue lorsqu’elle formule une demande de décision préjudicielle. Certains participants, dont le président Lenaerts, ont signalé que le faire pourrait faciliter la compréhension par la CJUE de l’affaire et des questions posées. Cela pourrait aussi se révéler utile pour les États membres à l’heure de décider s’ils interviennent ou non. Si certains participants étaient d’avis que l’expression de son point de vue par une juridiction nationale ne pouvait jamais être considéré comme partial, d’autres ont déclaré que cela pourrait donner l’impression que la juridiction préjuge de l’issue de l’affaire. Le président Lenaerts a souligné que tout point de vue devait être exprimé avec un esprit ouvert. Selon lui, on ne peut dans ce cas accuser de partialité la juridiction opérant le renvoi, parce qu’elle se prévaut des possibilités offertes par les règles de procédure de la CJUE.
La deuxième session portait sur l’obligation de motivation dans l’hypothèse où une juridiction nationale de dernière instance rejetait une demande de décision préjudicielle. Elle était animée par Jörgen Hettne, professeur à l’Université de Lund. Celui-ci a lancé le débat en revenant sur l’affaire Lyckeskog (C-99/00) et la question de savoir si les exigences de la législation nationale en matière d’autorisation de recours avaient une incidence sur l’étendue de la motivation du rejet d’une demande d’opérer un renvoi préjudiciel. La discussion suivante a porté sur la récente affaire Kubera (C-144/23), dans le cadre de laquelle la Cour suprême de Slovénie a demandé à la CJUE si l’exigence de motivation des décisions judiciaires s’appliquait également à une demande d’une partie de procéder à un renvoi préjudiciel dans une affaire où « l’autorisation d’un pourvoi en révision » est refusée. Dans l’attente de la décision de la CJUE dans cette affaire, les participants ont souligné qu’il était compliqué de motiver de manière poussée une décision lorsque le fond de l’affaire n’était pas examiné. La question de savoir si le juge devait rendre des comptes et était personnellement responsable des dommages au niveau national a par ailleurs été soulevée. On a fait valoir que toute responsabilité du juge doit être exclusivement limitée à la motivation et ne peut avoir trait au choix d’opérer ou non un renvoi préjudiciel. Dans le cadre de cette discussion, le président Lenaerts a souligné le fait que, si la procédure préjudicielle est un mécanisme important de coopération entre la CJUE et les juridictions nationales, elle ne constitue pas un recours pour les parties.
La troisième et dernière session était animée par la Dr Anna Wetter Ryde, chercheuse en chef à l’Institut suédois d’études politiques européennes. Le rôle que les juridictions nationales jouent, ou devraient jouer, dans le maintien du système constitutionnel de l’UE, constituait le thème principal de cette session. Comme Anna Wetter Ryde l’a d’emblée expliqué, une possibilité limitée d’examiner la compatibilité d’un acte de l’UE avec, par exemple, les droits de l’homme ou la compétence de l’UE, découle de l’article 263 du TFUE. Les juridictions nationales peuvent dès lors jouer un rôle important dans la sauvegarde du droit de l’UE en soulevant des questions de validité. Malgré cela, les participants ont indiqué qu’il était rare que les juridictions nationales posent des questions ayant trait à la validité d’un acte de l’UE. Cela s’explique selon eux par le fait que les juridictions nationales sont tenues de traiter les cas présentés par les parties, sans pouvoir « choisir » ceux dans lesquels des questions de validité de la législation de l’UE sont soulevées. On a simultanément reconnu que seule la CJUE pouvait statuer sur la validité d’un acte de l’UE et que cela imposait en effet que les juridictions nationales assument la responsabilité de poser des questions de validité afin de faire respecter le système juridique de l’UE.
En guise de clôture, Anna Wetter Ryde et Jörgen Hettne ont donné une vue d’ensemble et formulé des réflexions sur le Rapport général ainsi que sur les discussions qui se sont déroulées dans le cadre du séminaire.
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